Modification des contrats de concession
- Ariane Bardoux

- 13 mai
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Aux termes d’un arrêt Fastned Deutschland GmbH & Co. KG du 29 avril 2025 (aff. C-452/23), la Cour de justice de l’Union européenne est venue apporter d’utiles précisions concernant la modification des contrats de concession.

Tout d’abord, les juges de l’Union européenne se sont penchés sur l’incidence de la perte, par le concessionnaire, de sa qualité d’entité in house.
Sur ce point, après avoir rappelé que la modification des contrats in house n’était pas soumise aux conditions de modification prévues par la directive 2024/23 si à la date de la modification le concessionnaire satisfait toujours aux conditions pour être qualifié d’entité in house, elle a considéré que ces conditions étaient pleinement applicables lorsque la modification du contrat intervenait alors que l’opérateur avait perdu cette qualité (points 51 et suivants).
Certes, en toute rigueur, un nouveau titulaire ne saurait remplacer le titulaire initial sans nouvelle procédure de passation lorsque le contrat a été initialement confié à une entité in house sans procédure de mise en concurrence (point 55 ; CJUE, 12 mai 2022, Comune di Lerici, aff. C-719/20, points 41 et 43).
Toutefois, dans l’affaire en cause, la modification analysée par la Cour de justice ne portait pas sur la substitution du titulaire initial – laquelle avait au demeurant eu lieu en 1998 avant l’entrée en vigueur de la directive – mais sur une évolution de l’objet du contrat.
Or, la faculté pour les parties de modifier un contrat de concession comme l’applicabilité des conditions de modification de la directive 2014/23 ne sont pas soumises au fait que la concession ait été initialement passée selon une procédure d’attribution conforme à ladite directive (points 58 et 59).
La Cour de justice en a donc déduit que les conditions prévues par la directive pour modifier un contrat de concession devaient s’appliquer même lorsque la concession avait été initialement attribuée, sans mise en concurrence, à une entité in house et que la modification de l’objet de ladite concession est effectuée à une date à laquelle le concessionnaire n’a plus la qualité d’entité in house (point 60).
Ensuite, la question se posait de savoir si la mise en œuvre de la modification du contrat pouvait être subordonnée à la régularité de l’attribution initiale de la concession alors même que le délai de recours contre les actes s’y rapportant avait expiré depuis de nombreuses années.
En d’autres termes, la Cour de justice s’est prononcée sur le point de savoir si les juridictions nationales devaient contrôler, à titre incident et sur demande, la régularité de l’attribution initiale d’une concession à l’occasion d’un recours tendant à l’annulation d’une modification de celle-ci, et ce après l’expiration des délais de recours direct (point 61).
Statuant au regard des différents intérêts en cause, les juges de Luxembourg ont répondu par la négative en faisant prévaloir le principe de sécurité juridique (point 69).
Enfin, la Cour de justice a recherché si la modification en cause pouvait intervenir régulièrement au regard des conditions de l’article 43, paragraphe 1, sous c) de la directive 2014/23 (codifié en droit interne aux articles L. 3135-1 et R. 3135-5 du code de la commande publique).
Plus précisément, la régularité de la modification est soumise au respect de trois conditions distinctes (point 72) :
- une première condition comportant deux éléments :
o la survenance de circonstances qu’un pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir ;
o le fait que ces circonstances rendent nécessaire la modification de la concession concernée ;
- la modification concernée ne doit pas changer la nature globale du contrat de concession en cause ;
- l’augmentation du montant du contrat ne doit pas être supérieure à 50 % du montant de contrat de concession initial.
Premièrement, concernant la seconde branche de la première condition, la Cour de justice a précisé que la modification du contrat ne pouvait pas être considérée comme ayant été rendue nécessaire au seul motif que les stipulations contractuelles de celle-ci ne couvraient pas la situation résultant des circonstances imprévisibles (point 73).
Ainsi, la modification pourra être considérée comme ayant été « rendue nécessaire » lorsque les circonstances imprévisibles survenues exigent d’adapter la concession initiale afin d’assurer que l’exécution correcte des obligations qui en découlent puisse perdurer (point 75).
Secondement, s’agissant de la deuxième condition, la Cour de justice indique qu’un changement de la nature globale de la concession pourrait être avérée (i) si les travaux à exécuter ou les services à fournir sont remplacés par quelque chose de différent ou (ii) lorsque le type de concession est fondamentalement modifié (point 76).
Ce faisant, de telles modifications d’ampleur ne peuvent être autorisées sans nouvelle procédure alors même qu’elles seraient rendues nécessaires par la survenance de circonstances imprévisibles.
Après avoir renvoyé à la juridiction interne le soin de s’assurer de la satisfaction de ces éléments et de la troisième condition, la Cour de justice a indiqué que si tel n’était pas le cas, il appartiendrait au juge national de rechercher si la modification pourrait être justifiée sur un autre fondement et plus précisément au regard du cas des « prestations supplémentaires » mentionné à l’article 43, paragraphe 1, sous b) (codifié en droit interne aux articles R. 3135-2 à 4 du code de la commande publique) (point 79).
Le cas échéant, cette juridiction devrait notamment vérifier que « les travaux ou les services visés par la modification en cause au principal ne pouvaient pas, d’un point de vue économique et technique, et sans entraîner d’inconvénient majeur ou de multiplication de coûts pour le pouvoir adjudicateur, faire l’objet d’une concession autonome attribuée à la suite d’une procédure de mise en concurrence » (point 80).
Par cet arrêt dont les termes nous semblent parfaitement transposables en matière de marchés publics, la Cour de justice poursuit donc la construction du droit des modifications des contrats de la commande publique.



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